samedi 22 septembre 2018

97. VENDREDI : COURS D'APHRODITE


    Le réveil m'arrache à un rêve érotique dont tout mon corps frissonne encore.
    Aphrodite...
    Son regard, ses cils, son parfum, ses mains, ses dents, ses lèvres.
    Aphrodite...
    Sa voix, son rire, son souffle.
    Aphrodite...
    Sa démarche, ses jambes, le contact de sa peau, ses seins, ses reins, son dos.
    Aphrodite...
    Sa chevelure, son...
    Je m'adosse à mon oreiller. Mon cœur bat si fort. Je suis redevenu l'adolescent qui jadis frémissait devant la moindre jolie fille. Amoureux, au bord de l'évanouissement, mes joues s'embrasaient.
    " L'amour, c'est la victoire de l'imagination sur l'intelligence ", estimait Edmond Wells. Il ne croyait pas si bien dire.
    Évoquer mon ami dissipe mes visions érotiques. Nous avions encore tant à nous dire, il avait encore tant à me donner. Sa voix résonne à mes oreilles : " ... J'ai écrit l'Encyclopédie parce que je recevais, au hasard des rencontres, énormément de savoir de la part de beaucoup de gens. Mais lorsque je voulais le transmettre à mon tour, afin que ce savoir continue de vivre, je me suis aperçu que très peu de personnes étaient intéressées par ce cadeau. On ne peut offrir qu'à ceux qui sont prêts à recevoir. Alors je l'ai livré à tous. Comme une bouteille à la mer. Le recevront ceux qui sauront l'apprécier, même si je ne les rencontre pas. "
    Penser à lui me ramène à nos peuples qui désormais n'en forment qu'un seul, en paix sur son île où, grâce à la pyramide de son invention, sublime porte-voix, je communique à loisir avec la reine.
    Toc toc...
    Je sursaute.
    - Debout là-dedans, clame Raoul. Il y a un petit déjeuner aujourd'hui. Il y a à manger même pour les froussards qui refusent d'affronter la grande chimère.
    Il entre et s'assied sur mon canapé tandis que je m'empresse de me laver et de m'habiller. En dépit de ses reproches, mon ami paraît particulièrement de bonne humeur ce matin.
    - Finalement, tu as bien fait de ne pas venir hier au soir, me dit-il en chemin. Nous n'avons pas vraiment progressé. Mais Georges Méliès affirme avoir une idée pour nous permettre de franchir l'obstacle. En tout cas, la grande chimère, ça résiste non seulement aux ankhs mais aux flèches. Nous avons fabriqué une arbalète géante et nous lui avons enfoncé un pieu grand comme un poteau en plein poitrail. Ça ne l'a pas plus dérangée qu'une piqûre. Tu viens, ce soir ?
    - Je ne sais pas encore. Es-tu au courant pour Edmond ?
    - Bien sûr, les nouvelles vont vite. Il paraît qu'il a essayé de pénétrer chez Atlas pour continuer à jouer. Il a voulu tricher...
    - J'étais avec lui, dis-je.
    Il hoche la tête, plus compréhensif qu'étonné.
    Je sais que Raoul était jaloux de mon mentor. Lui disparu, il est convaincu que je serai tout à lui.
    Au Mégaron, les Saisons nous servent du lait tiède, juste trait, du pain et des viennoiseries. Sur les tables, il y a des œufs brouillés, des tranches de bacon, du miel. J'apprécie.
    Raoul m'adresse un clin d'œil.
    - Nous sommes vendredi. Le jour de Vénus, Vénus qui est le nom latin d'A-phro-di-te !
    - Et alors ?
    - Nous savons tous que tu es raide dingue de cette déesse. Tu devrais d'ailleurs te montrer plus discret, il y en a beaucoup qui jasent.
    - Que raconte-t-on derrière mon dos ?
    Saisissant tranquillement un toast entre ses doigts démesurés, il fronce les sourcils.
    - Eh bien, on murmure que pour plaire à Aphrodite, tu façonnes des peuples gentils tournés vers la spiritualité.
    Raoul Razorback tempère :
    - Moi, je te connais, je sais que ce n'est pas ça. Tu es vraiment gentil... et spirituel. Depuis une bonne centaine de karmas, tu es un chic type convaincu que, comme dans les films, il y a toujours un happy end, les méchants sont punis et les bons récompensés.
    J'enfonce mon nez dans mon bol.
    - Tu te trompes. Aphrodite n'aime pas les gentils. Avec tes hommes-aigles, tu as beaucoup plus de chances de la séduire.
    Il me considère, préoccupé.
    - Mon peuple des aigles n'est pas encore au point. Pour l'heure, le danger, c'est Proudhon. Son armée est si nombreuse et si bien équipée qu'il est en mesure d'envahir le monde entier sans rencontrer de résistance. Alors, je préfère rester dans mes montagnes et bâtir ma civilisation en attendant qu'elle soit suffisamment puissante pour l'affronter.
    - Tu crains Proudhon ?
    - Bien sûr. Il domine le jeu et nous impose son rythme.
    - Sarah Bernhardt avait proposé l'union générale contre ses rats.
    - Trop tard, dit-il. Ton peuple est déjà pratiquement hors jeu. Quant aux autres élèves, ils redoutent si fort d'être évincés qu'ils sont en état de panique. Ils sont déjà prêts à fuir ou à se soumettre. Quant à ceux qui pourraient leur tenir tête, comme les hommes-ours de Victor Hugo ou les hommes-loups de Mata Hari, ils sont géographiquement trop loin pour intervenir.
    - Il y a encore Marilyn Monroe et ses amazones.
    - Tu y crois vraiment ? Ses femmes sont certes capables d'un grand courage, le problème ne vient pas des guêpes mais de Marilyn elle-même. Elle n'a aucun sens de la stratégie. Par moments, ses mortelles me paraissent plus en phase avec leur monde que la déesse censée les inspirer. Ce qui est un comble.
    L'idée que certains humains aient des intuitions plus subtiles que celles de leurs dieux m'amuse. J'ai moi-même constaté que, sans les influencer, certains de mes hommes-dauphins parvenaient à des inventions déterminantes auxquelles je ne pensais même pas.
    Georges Méliès s'assied auprès de nous.
    - Je pense avoir trouvé comment vaincre le monstre, annonce-t-il tout de go.
    Il semble enthousiaste.
    - Nous nous trompions jusque-là car nous lui faisions face. Il faut contourner le problème.
    - On t'écoute.
    - Ne me posez pas de questions. Je vous réserve la surprise pour ce soir. Il n'est pas nécessaire de détruire la grande chimère, il suffit de la mettre hors d'état de nuire.
    La cloche résonne. Il est huit heures et demie, et temps de nous rendre au palais d'Aphrodite.
    La demeure de la déesse de l'Amour ressemble à un château de conte de fées, avec des fleurs suspendues aux balcons des multiples tourelles. Il y a des rubans roses, des fils dorés, des décorations kitch un peu partout. Un vrai décor de poupée.
    Et c'est alors qu'Aphrodite surgit du ciel, splendide, dans un char tiré par une centaine de colombes et de tourterelles. Derrière elle, un soleil rouge souligne la fière silhouette. À ses côtés, un chérubin volette.
    L'enfant potelé est nanti d'ailes de colibri et il est armé d'un arc et d'un carquois aux flèches couronnées de cœurs écarlates.
    - C'est Cupidon, souffle Raoul, une flèche, et il rend fou d'amour qui il veut. Inquiétant, non ? C'est peut-être l'arme la plus redoutable...
    Je pense que, pour moi, Cupidon n'a nul besoin d'user de ses flèches, ni Aphrodite de sa ceinture.
    L'escorte ailée se pose sur l'herbe dans un tourbillon d'ailes et de plumes. La déesse descend de son char et nous salue. Puis elle s'avance vers le portail de son palais et les deux huis s'ouvrent seuls comme s'ils l'avaient reconnue.
    Nous découvrons une vaste salle ronde aux murs tapissés de grandes tentures de velours rouge.
    Des lustres-bougeoirs éclairent la pièce.
    Des gravures érotiques représentant des estampes japonaises et des scènes du Kâma-Sûtra sont suspendues aux murs. Sur les côtés, des marbres romains alignent des couples enlacés.
    - Bienvenue chez moi, dit la déesse en s'asseyant à son bureau sur l'estrade. Je suis Aphrodite, déesse de l'Amour, votre sixième professeur pour votre passage au niveau de conscience " 6 ".
    D'une clochette au tintement léger, elle convoque Atlas qui entre en titubant sous la charge de " Terre 18 ". Elle lui indique le coquetier, mais il se tourne vers nous, l'expression soudain durcie. Je devine qu'il cherche dans nos rangs le second élève masqué qui lui a échappé cette nuit. Je baisse les yeux.
    - Qu'y a-t-il ? demande Aphrodite, étonnée par son attitude.
    - Cette nuit, deux élèves ont pénétré chez moi pour toucher à " Terre 18 ".
    - En es-tu sûr ?
    De sa ceinture, le géant tire un lambeau de toge. C'est ma toge ! Bon sang... J'ai dû m'accrocher quelque part. Il faudra que je détruise le reste du vêtement dès mon retour à la villa.
    - Ne t'inquiète pas, Atlas, lâche Aphrodite en conservant le morceau d'étoffe en main. Nous retrouverons le coupable.
    D'un même geste, elle convie le géant à s'éclipser et nous enjoint de nous rassembler autour de " Terre 18 ".
    Près de la sphère, elle tire d'entre ses seins un ankh incrusté de diamants, et examine nos humanités.
    - Vos mortels connaissent déjà les rites funéraires. Qui les a inventés ?
    Edmond Wells n'étant plus là pour répondre, tout le monde se tourne vers moi.
    - Comment vous appelez-vous ? demande Aphrodite, faisant semblant de ne pas me reconnaître.
    - Pinson... Michael Pinson.
    S'adressant à l'ensemble de la classe, elle poursuit :
    - Si vous connaissez déjà les cérémonies funéraires, vous verrez bientôt apparaître les religions, et donc les premières tentatives des mortels pour percer les mystères des immortels. Déjà, la plupart de vos peuples ne jettent plus leurs cadavres et, tout naturellement, ils se sont mis à imaginer que les âmes partaient vers quelque dimension supérieure. Bref, ils ont créé des " protoreligions ". Mais tout d'abord un petit réajustement.
    Elle approche de " Terre 18 ", ouvre la trappe de la pendule et fait avancer de plusieurs tours l'aiguille du cadran. À en juger par le nombre de tours, elle a vieilli notre monde de plusieurs siècles. Toutes nos populations ont dû croître en accéléré et je me félicite d'avoir placé la mienne sur de bons rails.
    La déesse de l'Amour nous convie à approcher de notre œuvre.
    J'observe et je constate, en effet, que le peuple des iguanes de Marie Curie vénère désormais le Soleil, le peuple des rats de Proudhon la foudre, et le peuple des guêpes de Marilyn sa reine, qu'il considère comme l'incarnation du dieu sur Terre. Le peuple des faucons de Bruno Ballard se prosterne devant la Lune et le peuple des termites de Gustave Eiffel rend hommage à une statue de femme géante. Les hommes-scarabées de Clément Ader prient la vache et les hommes-chevaux de Sarah Bernhardt les vieux arbres.
    Il est des religions plus surprenantes encore. Le peuple des hommes-loups de Mata Hari s'est donné pour dieu le Grand Loup Blanc, qu'il considère comme son ancêtre sacré. Le peuple des tigres de Georges Méliès croit en une énergie qu'il nomme " La Chaleur ". Les aigles de Raoul vénèrent la plus haute cime de la chaîne de montagnes où ils vivent. Quant à mes hommes-dauphins, ils vénèrent une notion qu'ils appellent la Vie et qu'ils définissent comme une énergie présente en toute chose et à laquelle ils font appel. C'est à elle, la Vie, que leur nouvelle Reine dit se connecter pour recevoir les informations utiles à sa communauté.
    - La religion, pour l'homme, est une nécessité naturelle, explique Aphrodite. Son ambition le pousse à agrandir ses territoires. Son imaginaire à conquérir les mondes situés au-delà du visible. Pour se les approprier, il les nomme et les dessine. Il invente des cosmogonies. Il nous... invente à l'image de ce qu'il pense être le plus élevé.
    Je me souviens d'une phrase d'Edmond Wells évoquant l'Olympe : " On se croirait ici dans le rêve d'un enfant ou... dans un livre. "
    Nous observons nos humains avec nos ankhs et nous constatons que même les peuples sans dieux ont inventé un culte.
    Aphrodite secoue sa longue chevelure blonde et annonce :
    - Puisqu'ils ont inventé l'au-delà, nous allons leur en créer un " vrai ".
    Elle note sur le tableau : " Paradis 18 ".
    La déesse de l'Amour sort d'un tiroir un matériel ressemblant à la panoplie du parfait petit chimiste dont une bouteille de forme conique. Elle mélange différents produits dans la fiole et la chauffe sur un bec Bunsen. Au bout d'un moment, apparaît un tourbillon de vapeur, lequel, la bouteille ayant été déposée dans un agitateur, laisse place à un vortex conique qui épouse la forme de la bouteille. Puis, d'une éprouvette, elle tire un petit soleil qu'elle place au bout du goulet le plus étroit du cône.
    C'était donc quelque chose comme ça qui nous attirait lorsque nos âmes sortaient de nos corps pour explorer le Paradis de " Terre 1 ". Un soleil déposé au fond du Paradis.
    Aphrodite frappe dans ses mains et l'orchestre des Charités pénètre dans la classe pour entonner l'Adagio de Samuel Barber.
    La musique vibre dans toute la salle et nous plonge dans une émotion étrange.
    Cupidon se charge d'éteindre quelques bougies proches de la sphère pour gagner en pénombre et, bouche bée, nous distinguons une âme, puis deux, puis des âmes par dizaines, par centaines, par milliers s'extraire de " Terre 18 " pour s'élever dans les cieux. Elles montent et s'engouffrent dans le tube menant à la fiole du Paradis 18.
    Quel spectacle ! Les petites âmes humaines s'envolent de tous les coins de la planète, par groupes, telle une migration d'oiseaux cosmiques.
    Certaines décollent mais restent à planer en surface sous la couverture de nuages. Ce sont les âmes errantes qui n'ont pas la force ou la volonté de monter vers la lumière et préfèrent rester à stagner à proximité de leur terre.
    Dans la fiole, le Paradis s'organise. Les trois premières âmes s'autoproclament archanges et cooptent quelques anges subalternes pour former le tribunal qui accueillera les arrivants et pèsera les âmes. Ainsi la grande roue des cycles des réincarnations est-elle lancée sur " Terre 18 ". La machine à laver qui rend toujours plus blanc, plus lumineux.
    Je songe que génération après génération, karma après karma, mon peuple dauphin pourra à présent s'améliorer.
    Certaines de mes plus belles âmes dauphins choisissent de renaître sur l'île mais d'autres préfèrent se rendre chez d'autres peuples. C'est leur libre arbitre. Il y en a même qui sélectionnent leurs géniteurs chez Raoul ou chez Proudhon, comme si elles voulaient irradier l'esprit dauphin en plein cœur de leur ennemi ou des guerriers les moins conscients. Mais la déesse de l'Amour n'en a pas fini avec ses manipulations. Dans une autre fiole, elle crée un " Empire des anges " où quelques rares âmes du Paradis 18 sont autorisées à se glisser. Aphrodite vient de créer pour nos humains une possibilité d'accéder au niveau de conscience " 6 ". Désormais, les mortels de " Terre 18 " auront eux aussi leurs anges particuliers.
    Le cycle des humains de cette petite planète est désormais en état de marche : la chair, l'âme, le paradis, l'empire des anges, le retour sur Terre.
    L'élévation peut se produire. Notre tâche de dieux en sera nettement facilitée. Les anges locaux vont aider de manière " artisanale " leurs clients à s'élever alors que nous agirons de manière plus " industrielle ". Les anges sont les fantassins de la bataille pour la prise de conscience humaine. " Paradis 18 " et " Empire des anges 18 ". Aphrodite dépose soigneusement les deux flacons dans des trappes installées sous le coquetier de la sphère. Le moment est venu. Les lumières s'éteignent de nouveau, laissant " Terre 18 " illuminée par un projecteur. Juchés sur des escabeaux pour dominer la sphère, ou grimpés sur des chaises pour être à hauteur de nos peuples, tous, nous reprenons la partie.
    Pour ma part, je me hisse sur un tabouret, à l'ouest, face à mon île. À l'aide de la touche " N " de mon ankh, je zoome : l'océan, une île. Ma petite île de la Tranquillité.
    Mes hommes-dauphins ont érigé une monumentale pyramide bien plus haute et plus large que toutes celles qui ont été bâties jusque-là. Ils ont respecté pour la construire le nombre d'or : , qu'ils ont dû déduire de l'observation de la nature. Leur nouvelle reine s'est beaucoup étoffée, elle aussi. Obèse, elle ne quitte pratiquement plus sa loge. Autour d'elle, cinq très jeunes hommes se livrent à la méditation. J'essaie de comprendre.
    Je n'ai jamais vu cela nulle part. Dans sa loge, avec ses cinq mâles, elle forme une sorte " d'émetteur-récepteur à ondes humaines " nourri par l'énergie sexuelle retenue !
    Grâce à cette antenne vivante toute la population est branchée sur l'énergie de la reine, laquelle est branchée sur le cosmos.
    Nouvellement nanti de son " au-delà " tout neuf, mon peuple a accompli des progrès exponentiels. Il est désormais fort de près de trois cent mille citoyens, très éduqués, à grande majorité dynamiques et dotés d'un sens aigu des responsabilités.
    Combien j'aurais aimé que mon ami Edmond Wells voie cela, qu'il constate comme moi le degré d'évolution de nos gens.
    Aphrodite nous a parlé de protoreligion, mais les miens en sont déjà bien plus loin. Ils ont développé toutes sortes de lieux de transmission de la spiritualité. Et en parallèle des enseignements habituels, ils connaissent et pratiquent la méditation, la décorporation et la télépathie. À l'école on apprend à mieux respirer, à dormir d'un sommeil court et réparateur, à aimer.
    Connaissant parfaitement leur corps, ils se soignent par imposition des mains ou par pression en des points précis. Ils ont élaboré une écriture et ils consignent leur savoir dans des livres en parchemin. Ils ont inauguré une bibliothèque et, dans leurs ouvrages, ils recensent leur cartographie céleste et tous les animaux, toutes les plantes de leur île. Ils ne sont pas en reste en matière de sciences théoriques et n'ont pas davantage oublié de s'intéresser aux arts. Ils peignent, sculptent, composent.
    Mais le plus impressionnant est leur sérénité. À l'abri du stress de la guerre, ils ignorent la violence. Leurs enfants, éduqués dans l'amour, ne jouent pas avec des armes factices, les dauphins sont tellement plus amusants...
    Bien nourris de protéines de poisson et non de viande, soignés par une médecine adéquate, mes mortels vivent longtemps, et les plus que centenaires sont en pleine forme. De plus, ils sont de haute taille. La moyenne est de 1,95 mètre et certains déploient 2,10 mètres.
    Je promène ma loupe ankh dans leurs rues. Les maisons n'ont pas de serrures. Tout le monde vaque à ses occupations librement et sans crainte, tandis que les assemblées de sages délibèrent de la gestion de la Cité.
    - Monsieur Pinson ?
    De temps à autre, ils envoient leurs navires, longs et effilés, à l'image des dauphins, en expédition dans le vieux monde. La plupart des autochtones ayant la fâcheuse habitude de les assassiner avant même qu'ils n'aient pu entrer en contact avec eux, l'assemblée des sages hésite désormais à dépêcher de nouveaux aventuriers. Cependant, le port s'agrandit, et dans les chantiers navals se construisent d'autres bateaux, encore plus rapides. Dans la ville, des urbanistes s'affairent sur un système de tout-à-l'égout qui évacuera leurs ordures et...
    - Michael Pinson, je vous parle !
    Aphrodite se dresse face à moi.
    - Ce lambeau d'étoffe rapporté par Atlas vous appartient, il me semble.
    Mon cœur s'arrête.
    - ...Vous êtes allé jouer en douce chez le gardien des mondes afin d'avantager votre peuple, n'est-ce pas ? Je comprends maintenant comment vos humains ont pu échapper de justesse à leur extermination et construire aussi rapidement une si belle cité. Le problème, c'est qu'il vous est formellement interdit d'intervenir en dehors des heures de cours. Michael Pinson, vous avez triché.
    Tous les yeux sont fixés sur moi. Une rumeur réprobatrice parcourt les travées.
    - ... Vous avez triché, Michael Pinson, et, de votre part, cela me déçoit beaucoup.
    De son ankh de diamants, elle examine plus attentivement mon île.
    - Votre peuple est désormais beaucoup trop en avance par rapport aux autres. Désolée, mais il me faut remettre les pendules à l'heure.
    Les battements de mon cœur s'accélèrent. Qu'elle me châtie moi, mais pas mon peuple, pas mon peuple... Dans sa main, le joyau se transforme en une arme redoutable, réglée sur sa puissance maximale.
    Pas elle, pas ça.
    Déjà un doigt fin s'abat sur la chatoyante touche " D " de son ankh.
   

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