samedi 22 septembre 2018

63. MERCREDI. LE COURS D'HERMÈS

Mercredi, jour de Mercure, nos maîtres grecs continuent de se présenter à nous dans l'ordre chronologique de leurs appellations latines. C'est donc devant le portail d'Hermès que, ce mercredi, les élèves attendent de pénétrer dans une nouvelle salle de classe.
    Je patrouille entre les groupes qui bavardent ici et là, je m'attarde à saluer quelques familiers, mais je dois bientôt me résoudre à constater, le cœur étreint d'angoisse, qu'aucun de mes amis théonautes n'est présent. Que leur est-il advenu face au monstre dans la forêt noire ? Mon anxiété est telle que je peine à m'intéresser au décor du dieu des voyages lorsque nous franchissons le seuil de sa pyramide argentée.
    La salle de classe est constellée de cartes postales, d'objets rapportés d'explorations sur des planètes inconnues. Rappel des multiples attributions d'Hermès, s'alignent dans des vitrines divers instruments de médecine.
    - Bonjour, installez-vous, nous lance une voix agréable depuis le plafond.
    Nous levons la tête. Notre maître du jour plane au-dessus de nous, battant des ailettes qui partent de ses sandales. Lentement, il descend s'installer à son bureau sans se séparer de son chapeau rond et de sa houlette de berger. Il a un visage lisse, étonnamment jeune et beau.
    - Vous arrivez avec moi au stade le plus intéressant de l'évolution, annonce-t-il. Vous avez connu 1 : le minéral, 2 : le végétal, 3 : l'animal. Intéressons-nous à présent à 4... " L'homme ", inscrit-il au tableau et, de son bâton, il suit les contours du chiffre.
    - " 4. " L'homme est carrefour, croix, croisement. C'est pourquoi il est normal, en tant que dieu des routes, que je vous parle de l'homme. Pourquoi l'humain est-il carrefour ? Parce que, avec son libre arbitre, il est à même d'aller de l'avant ou de repartir en arrière. Il n'est plus comme le 3, l'animal, prisonnier de ses émotions, de ses peurs ou de ses envies. S'il le veut, il peut grâce à son intelligence les dominer, les orienter, les canaliser, les maîtriser.
    Tout en parlant, Hermès tour à tour marche ou lévite, nous examinant de près ou nous toisant de haut. Enfin, il frappe dans ses mains et Atlas apparaît avec son globe.
    - Ce n'est pas trop tôt, grogne-t-il. J'en ai déjà parlé avec vos collègues mais ces conditions de travail sont vraiment impossibles et...
    - Merci, Atlas, coupe Hermès, sans un regard pour le malheureux qui titube en déposant son fardeau dans le coquetier. Je vous rappellerai tout à l'heure.
    L'autre ne bougeant pas, il lui adresse un grand sourire, puis un petit geste lui intimant de partir. Atlas hésite.
    - Au cas où tu l'aurais oublié tu me dois le respect, je suis ton grand-père...
    - Je sais, mais là c'est un cours et c'est important, c'est leur premier cours avec des jouets humains.
    - Je m'en fiche des jouets.
    Hermès marque la lassitude.
    - Bon, tu veux quoi ? Une augmentation de salaire ?
    Sans se départir de son sourire il le fixe.
    Atlas cligne le premier les yeux puis pousse un soupir avant de s'en aller en marquant son écœurement.
    - Où en étions-nous déjà ? Ah oui. C'est maintenant que commence le Grand Jeu, le jeu d'Y, le jeu des dieux. Chacun de vous va recevoir en charge une horde de cent quarante-quatre humains, évolution de hordes de primates. Vous y trouverez une trentaine de mâles dominants, une cinquantaine de femelles fécondes et, pour le reste, des mâles non dominants, des femelles stériles, des enfants, des vieillards. Tout le monde dispose au départ d'à peu près les mêmes " pions ".
    Il remonte dans les hauteurs du plafond.
    - Vos prototypes d'humains sont à peu près tous identiques. Deux bras, deux jambes, une vision faciale, mains libres, ongles, cordes vocales, sexe apparent. Il vous est interdit de modifier leur ADN. Chaque horde comporte son même lot d'intelligents, de stupides, de bons et de méchants, d'adroits et de malhabiles. Les modifications proviendront de l'éducation, des signes que vous réussirez à leur envoyer par les rêves, de votre capacité à choisir les bons médiums, etc. Plus prosaïquement, n'oubliez pas de les lancer à la recherche des sources d'eau potable car, sans eau, les humains dépérissent. Protégez-les des prédateurs. Pas seulement des animaux, car il existe aussi sur " Terre 18 " des peuples " aléatoires ".
    Il redescend pour tourner autour de notre planète.
    - Ce sont des peuples sans dieux qui les surveillent. Cependant ils pourront être croyants car ils pourront s'inventer des dieux imaginaires.
    Il s'interrompt car une rumeur parcourt soudain les rangs du fond. Je me retourne. À mon vif soulagement, mes théonautes font leur entrée. Les joues de Raoul sont striées de griffures, les toges de Freddy et de Marilyn sont en loques, Edmond boitille et la carnation sombre de Mata Hari a laissé place à un teint blanc, presque verdâtre.
    - Je n'ai pas vérifié ma liste mais il m'avait bien semblé que cette classe comptait quelques absents. Voici donc nos retardataires ! J'espère que vous n'avez pas passé la nuit hors de la cité, au moins, ironise le dieu des Voyages, pas dupe.
    Hermès se désintéresse d'eux et, sans mot dire, les nouveaux arrivants s'installent parmi nous. Au passage, Raoul me lance un regard empreint de reproche.
    " Totem ", note Hermès au tableau, et il explique :
    - Prenez pour drapeau un animal-totem. Choisissez-le à votre convenance. Chaque animal possède sa spécificité, son mode de conduite ou d'intégration à la nature propres à inspirer les humains qui y feront référence.
    Nous invitant à nous approcher de la sphère où flotte " Terre 18 ", il nous conseille encore :
    - Écoutez, comprenez, aidez vos humains. Usez de la foudre avec parcimonie. Évitez les miracles. Miracles et messies sont des outils pour dieux maladroits, incapables d'intervenir discrètement.
    Il a dit ça avec un air très méprisant comme un skipper de voilier évoquant les bateaux à moteur.
    - Au travail, et arrangez-vous pour créer une humanité qui ne s'autodétruira pas au bout de quelques siècles.
    Sur ce, affichant un sourire hollywoodien, notre professeur s'envole pour mieux nous surveiller du haut de son plafond.
   

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