samedi 22 septembre 2018

55. MARDI. COURS D'ARÈS


    Quand, après une courte nuit de repos, j'apparais dans le Mégaron pour le petit déjeuner, tous mes amis se lèvent, étonnés.
    - Michael, nous t'avons cru...
    - Mort ?
    Ils me racontent qu'ils ne m'ont pas abandonné. Quand ils ont vu que je ne suivais pas, Raoul et Mata Hari sont revenus de l'autre côté du fleuve bleu et ont suivi mes traces. Elles cessaient soudain, des ornières creusaient le sol en tous sens et puis s'effaçaient dans la forêt noire. Alors, ils se sont résignés à revenir en arrière et retrouver la tyrolienne.
    - Que s'est-il passé ? demandent-ils.
    Je n'ai pas envie de tout leur raconter. Je ne suis pas prêt à révéler l'histoire de la vaste salle souterraine avec ses reliques. Je garde aussi pour moi ma rencontre avec le lapin albinos. Tout en avalant rapidement huîtres et algues en guise de petit déjeuner, je leur confie simplement avoir découvert un passage sous un mur d'eau.
    La cloche du palais de Chronos sonne huit heures trente, mettant un terme à la conversation.
    Nous sommes mardi, jour de Mars. Mars est le nom romain d'Arès, c'est donc vers la demeure de ce dieu de la Guerre que nous nous dépêchons pour y recevoir les enseignements de notre troisième professeur.
    Nous remontons les Champs-Élysées, dépassant la demeure d'Héphaïstos et celle de Poséidon.
    Le palais d'Arès est un château fort, hérissé de tours, d'échauguettes et de mâchicoulis.
    On y accède au moyen d'un pont-levis surplombant un fossé rempli d'une eau verdâtre. À l'intérieur, une salle d'armes expose tout ce qui a servi à tuer et à massacrer au long de l'histoire de l'humanité. Des spots éclairent des massues, des lances, des haches, des piques, des hallebardes, des nunchakus, des épées, des sabres, des mousquets, des fusils, des bombes, des grenades, des missiles. Chaque arme est nantie d'une étiquette indiquant sa provenance et la date de sa fabrication.
    Revêtu d'une toge noire, le dieu Arès apparaît. C'est un géant de plus de deux mètres, à la moustache fournie, au poil noir, aux sourcils épais et à la musculature imposante. Son front est lui aussi ceint de noir. Un labrador et un vautour l'accompagnent. Le chien s'accroupit près de lui. Le rapace va se poser en haut du tableau.
    Debout sur l'estrade, Arès nous scrute, puis il descend.
    Il se plante devant notre planète qu'Atlas, toujours grimaçant de douleur, a déposée le plus discrètement possible dans son coquetier, avant de s'éclipser sans mot dire.
    Arès braque la loupe de son ankh sur nos travaux.
    - Je m'en doutais. Vous n'avez songé qu'à l'esthétique, pas à la survie ! Pas une plante avec des épines, aucune protubérance empoisonnée !
    Une rumeur parcourt l'assistance.
    - Taisez-vous. Vous vous figurez qu'on fabrique des mondes comme on tricote de la dentelle ?
    Posant son arme contre le bureau, il se tourne vers le tableau noir et note :
    0. L'œuf cosmique.
    1. Le stade minéral.
    2. Le stade végétal.
    3... Le stade animal.
    Nous dominant de toute sa taille, le dieu de la Guerre éclate d'un rire tonitruant.
    - Les deux bouches du 3, vous connaissez ? La bouche qui mord sur la bouche qui embrasse. Tuer et faire l'amour, voilà le secret d'une vie bien remplie. Qu'y a-t-il de plus réjouissant que les râles des ennemis agonisant un poignard dans le ventre, sinon ceux d'une femme pâmée entre vos bras ?
    Quelques élèves de sexe masculin approuvent complaisamment. Côté féminin, on perçoit des murmures outrés.
    - Je sais, reprend Arès, sardonique, on vous a enseigné les bonnes manières, mais si mes propos choquent certains d'entre vous, sachez que je m'en fiche ! J'adore la castagne, même quand c'est moi qui prends les coups. Lorsque le demi-dieu Héraclès m'a cassé la figure, j'ai pensé : " Enfin un adversaire à ma taille ! " Prenez-en de la graine, vous autres. N'ayez peur de rien, ne craignez personne, pas même vos maîtres.
    Il nous défie.
    - Si quelqu'un veut m'attaquer, qu'il s'avance. L'avantage est toujours à l'agresseur. Frappe le premier et discute ensuite.
    Joignant le geste à la parole, il avise l'un de nous à la stature d'athlète, l'attrape par la toge.
    - Ami, veux-tu te battre ?
    Avant que l'autre ait pu répondre il lui décoche sans ménagement un coup de poing dans le ventre.
    Plié en deux, l'élève fait des signes de dénégation.
    - Dommage, dit le dieu de la Guerre, en le jetant à terre.
    Il nous désigne sa victime.
    - Vous voyez l'avantage de l'agression. Ça marche à tous les coups. D'abord tu frappes après tu réfléchis, et si l'autre est plus fort... tu t'excuses.
    Il se tourne vers sa victime et d'un ton moqueur, à quelques centimètres de son visage, lui postillonne :
    - Désolé mon gars, j'ai pas fait exprès. Le coup est parti tout seul.
    Et il lui envoie un autre coup de poing encore plus fort. Puis, se tournant vers l'ensemble de la classe d'un air réjoui, Arès poursuit :
    - Non seulement ça défoule, mais en plus on vous respecte. Mais bon... les gens veulent toujours avoir l'air " gentil ". Ce n'est pas de la gentillesse c'est de la mièvrerie. Toutes les civilisations qui faisaient des petits napperons, des gâteaux au sucre et des émaux ont été détruites par celles qui faisaient des massues, des haches et des flèches. Voilà la réalité de l'Histoire. Et ceux qui refusent de le comprendre, eh bien ils paieront le prix fort. On n'est pas dans un monde de lopettes. Si vous aimez le point de croix il vaut mieux laisser tomber tout de suite les cours de divinité.
    Le dieu de la Guerre circule entre nous.
    - Depuis la nuit des temps c'est le combat, non pas du bien contre le mal, comme certains esprits simplistes le prétendent, mais le combat de... l'épée contre le bouclier.
    Déambulant entre les travées, scandant ses pas de sa rapière, il martèle :
    - Chaque fois que quelque part s'invente une nouvelle arme de destruction, une arme de protection s'invente en face. Flèche contre armure, charge de cavalerie contre lance, canon contre muraille, fusil contre gilet pare-balles, missile contre anti-missile, ainsi évolue l'humanité. La guerre a fait davantage pour l'avancement des technologies que la simple curiosité, l'esthétique ou le souci de confort. La première fusée de " Terre 1 " était issue d'études pour un prototype de missile VI conçu pour massacrer un maximum de civils innocents, souvenez-vous-en, et elle a ouvert la voie à la conquête de l'espace.
    Il se tait, fourrage dans son épaisse chevelure sombre et nous toise de tout son haut :
    - Autre chose. Il paraît qu'il y a un criminel parmi vous, un déicide qui s'en prend à ses condisciples.
    Silence dans les rangs. Nul ne réagit.
    - ... Moi, je n'ai rien contre lui. J'estime que tous les moyens sont bons pour gagner au jeu de la divinité. La fin légitime les moyens. C'est culotté mais il fallait y penser. J'aime. Je sais que les autres Maîtres dieux sont scandalisés, moi je leur ai dit : " Mais n'est-ce pas de toute façon le sens de l'évolution ? " Le dur vainc le mou. Le destructeur vainc les planqués. Alors bravo à celui qui élimine ses concurrents. Et ne comptez pas sur le système ou l'administration de l'île pour vous protéger, vous risqueriez d'avoir de mauvaises surprises...
    Et il ajoute froidement :
    - Le déicide doit même savoir qu'il dispose ici d'un allié, et si vous voulez jouer à vous entre-tuer, tout le matériel dans cette salle est à votre disposition.
    Et il éclate de son énorme rire.
    - Bien, à présent, intéressons-nous à votre monde. " Terre 18 ". Vous avez construit un gentil aquarium, joliment garni d'anémones et d'étoiles de mer. Beau décor, mais il est temps d'y introduire des vrais acteurs.
    Fabriquez des nageoires, des bouches et des dents et animez-moi cet océan. Au travail, même mode opératoire que pour les plantes, vous gravez l'ADN et vous programmez. Mais là votre marge de manœuvre est bien plus vaste. Laissez libre cours à votre créativité.
    Arès s'installe dans son fauteuil tandis que nous nous attelons à créer des animaux. Je m'aperçois qu'il s'agit d'élaborer une œuvre artistique en son entier. Je sculpte une forme, j'en peins la surface, je me livre à des exercices d'ingénierie pour mettre au point des modes de déplacement originaux. Notre Maître dieu nous incite à tester tout ce qui nous vient en tête et cela donne des monstres grotesques, multicolores, translucides...
    Au début, toutes nos créations ressemblent à des poissons.
    Gustave Eiffel a le premier l'idée de doter ses créatures d'une colonne vertébrale articulée pour qu'elles disposent d'un axe rigide.
    Georges Méliès crée des yeux sphériques protubérants et mobiles qui permettent de voir en avant et en arrière. Raoul Razorback s'attarde sur une nageoire accélérant le brassage de l'eau pour se déplacer plus rapidement. Mata Hari bricole une peau apte à s'adapter à tous les camouflages.
    Nous comparons nos œuvres en les commentant, ce qui a pour effet d'exaspérer notre maître du jour.
    - Vous vous croyez dans un club de vacances ? Vous pensez être là pour vous amuser avec vos petites sculptures ? Non, nous sommes là pour foncer, pour envahir, nous détruire les uns les autres ! La loi de la jungle est aussi celle du cosmos. Le fort triomphe du faible. Le pointu s'enfonce dans le plat. Même les galaxies se mangent entre elles.
    Il fait claquer le plat de son épée à deux tranchants sur la table.
    - Assez joué, à présent créez de la vie avec pour nouvel objectif " manger et ne pas être mangé " ou, si vous préférez, " tuer et ne pas être tué ".
    Il écrit cette dernière phrase sur le tableau.
    Il roule les yeux.
    - Hé oui, mes petits gars. La vie, elle est facile quand on reste chacun dans son petit coin d'océan. Et que je te bâtis n'importe quoi, comme ça. Mais lorsque vient la lutte contre l'autre, là on voit qui fait quoi et qui avait anticipé les... problèmes.
    Il circule entre les rangées.
    - Survivre, voilà l'objectif. Les moyens, c'est vous qui allez les trouver. La sanction sera simple. À partir de maintenant vous êtes 137. Eh bien on va écumer. Vous vous battrez entre vous, les perdants seront éliminés. Cela va vous forcer à réfléchir et peut-être développer vos petites cervelles de dieux.
    Il se place face à la sphère.
    - En deux mots, battez-vous à mort !
    Il se déplie pour venir dans nos rangs surveiller nos travaux.
    Devant " Terre 18 ", moqueur, il remarque encore :
    - Que c'est beau, les dernières minutes d'un monde en paix !
    Nous reprenons de plus belle. Nos prototypes évoluent, mûrissent, se consolident, se complexifient.
    Marilyn Monroe conçoit une méduse aux longs tentacules qui décochent en rafales de minuscules harpons empoisonnés. La murène de Georges Méliès a très bonne vue et demeure tapie dans des anfractuosités de rochers à observer qui passe à sa portée. Un adversaire trop coriace et elle se blottit dans son trou, un gibier potentiel et elle bondit à l'attaque.
    Raoul mitonne une mâchoire articulée, consolidée par plusieurs muscles.
    Nous essayons de nous rappeler les animaux de " Terre 1 ".
    Certains élèves agrémentent leurs créatures de voilures pour en accélérer la vitesse, d'autres ajoutent des pinces ou des crocs. Nos poissons sont customisés comme des avions de combat. Nous nous copions un peu les uns les autres au début mais, peu à peu, chacun trouve sa voie.
    La mâchoire de Raoul aboutit à une sorte de raie en forme de losange, aux ailes molles, prolongées par une queue longue et flexible qui frappe avec un dard comme un fouet.
    Edmond Wells aligne des bancs de petits poissons, drus comme des sardines. L'ensemble a pour particularité d'être nanti d'éclaireurs avertissant de la présence de gibier à l'avant et prévenant de l'arrivée d'un prédateur, à l'arrière. Si ce dernier parvient quand même à s'approcher, le temps qu'il dévore quelques individus, l'ensemble aura le temps de fuir. Tout se passe comme si sa communauté de poissons n'en formait qu'un seul, énorme et puissant. Mon mentor a réinventé le principe selon lequel " l'union fait la force ".
    Mata Hari perfectionne son concept de camouflage. En plus de virer au gré des fonds marins, son animal assez semblable à un calamar crache de l'encre pour faire diversion si l'ennemi décèle sa présence.
    À peine créés, tous nos animaux se cherchent, se poursuivent, se battent, se mangent les uns les autres. Tout autour, les plantes que nous avons fabriquées aux cours précédents continuent de pousser et de se reproduire, fournissant le carburant nécessaire à nos poissons herbivores de première génération. Ces derniers servent eux-mêmes de carburant aux nouveaux poissons carnivores qui trouvent dans les protéines animales une source de calories utiles aux attaques fulgurantes ou aux retraites désespérées.
    À cette deuxième génération de prédateurs succède une troisième génération de superprédateurs.
    Les animaux commencent à communiquer. Les calamars ont inventé un langage par photolyse, c'est-à-dire qu'ils changent de couleur et souvent très vite pour s'alerter les uns les autres ou réclamer de l'aide.
    Une quatrième génération encore plus féroce apparaît rapidement.
    Et la grande bataille sous-marine commence.
    D'immenses éclaboussures la signalent à la surface de l'océan de " Terre 18 ", où s'accumulent les poissons morts bientôt happés par leurs congénères nécrophiles. À ma gauche, ma voisine, une certaine Béatrice Chaffanoux, se souvenant des conseils d'Arès, met au point un bouclier protecteur. Elle fabrique un poisson cuirassé semblable à une tortue, avec un corps mou en sandwich entre de grosses plaques osseuses.
    Joseph Proudhon s'oriente plutôt vers des poissons chasseurs, rapides et puissants. Son prototype, qu'il améliore sans cesse, est du type requin. Il est équipé d'une mâchoire broyeuse, d'une triple rangée de dents triangulaires tranchantes comme des rasoirs, d'un nez détecteur de mouvement, et jouit d'une forte vélocité. Les autres créatures hésitent à s'en approcher, et l'animal devient rapidement la terreur du monde sous-marin.
    Je décide de m'en inspirer mais je me refuse à élaborer un être aussi agressif. Mon poisson est lui aussi long et gros, il est équipé de nageoires courtes et arrondies pour ne pas offrir de prise à des dents prédatrices, sa peau est très lisse, et je le dote d'un rostre pointu afin qu'il puisse frapper précisément au foie les requins de Proudhon. À l'arrivée, mon poisson a des allures de dauphin. Comme quoi, naturellement, on rejoint les archétypes connus.
    Proudhon a également donné des idées à Bruno Ballard, mon voisin de droite, qui modèle un barracuda à la gueule redoutable. Derrière, un élève s'affaire sur une épaisse anguille qui se défend à coups de décharges électriques.
    Le poisson-clown de Freddy Meyer vit en symbiose avec les anémones de mer vénéneuses qui le protègent des importuns. Le rabbin a été le premier à imaginer une association non seulement entre deux espèces mais entre deux formes de vie très différentes. Sur le même principe, un condisciple place son poisson pilote à proximité du requin de Proudhon afin qu'il le guide vers le gibier tandis que le gros protégera le petit. Courtiser les puissants a toujours été une bonne méthode de survie.
    Dans l'océan originel, les silhouettes animales s'affinent et se précisent. Des cartilages de protection s'ajoutent là où il y a faiblesse de carrosserie. Les peaux deviennent plus résistantes sans perdre en souplesse.
    Arès attire de nouveau notre attention.
    Il note au tableau : " Tout est stratégie. "
    - Certains parmi vous ont commencé à comprendre comment endurcir leur bestiau. Mais la force physique et la férocité ont elles-mêmes leurs limites. Il y a d'autres moyens de vaincre. Ce sera l'objet d'une nouvelle génération de vos prototypes.
    Nous cherchons d'autres voies que la force et nous trouvons.
    Les stratégies de reproduction compensent parfois les failles dans les aptitudes au combat. Tel spécimen qui ne sait pas trop se défendre survivra en pondant des quantités phénoménales d'œufs ou parce que sa femelle protège ses petits en les introduisant dans sa bouche en cas de danger et en les recrachant ensuite. Faire des enfants s'avère même une technique d'attaque puisque certains gros poissons, pourtant bien armés, se retrouvent mis à mal par des nuées d'alevins qui leur volent leur nourriture ou parasitent leur corps.
    M'inspirant de mon mentor Edmond Wells, je perfectionne la communication entre mes créatures. Elles vivent désormais en famille et se parlent par ultrasons. Alentour, l'idée de constituer un groupe n'est pas reprise. En revanche, tout ce qui est camouflage, mimétisme, leurre, mâchoires, poison, dents, accouplement rapide connaît un succès certain. Bientôt, des élèves dieux définissent pour leurs créations des territoires qu'ils défendent de toutes leurs nageoires et de toutes leurs dents. Et chacun envoie des éclaireurs pour tester les défenses adverses.
    Les poissons des générations précédentes sont abandonnés et, continuant à se reproduire, contribuent au décor. Faute d'avoir été suffisamment perfectionnés, ils font fonction de gibier.
    Cette confrontation nous met tous en effervescence. Autour de moi, des élèves voient leurs créations lacérées, déchiquetées, faute de stratégie cohérente. Pour s'en sortir, ils copient de leur mieux les vainqueurs.
    En surface, s'accumulent les cadavres de poissons non consommés car surabondants. Certains retombent en miettes dans les abysses et un élève a l'idée de façonner un crabe nécrophage qui s'en nourrit.
    La réussite est telle que son crabe ne tarde pas à muter jusqu'à essayer d'attaquer les carapaces des tortues de Béatrice Chaffanoux. Celle-ci est obligée de doubler les couches de protection. Sur le cartilage elle pose même une sorte de laque lisse où les pinces les plus pointues ne trouvent aucune prise.
    Arès nous encourage, nous éperonne, nous pousse à combattre avec encore plus d'acharnement. À un moment, sans que nous nous en rendions compte, une musique vient nous exalter, Carmina burana.
    Et cela guerroie partout. Au bout d'un laps de temps qui me semble court, les espèces sont comme stabilisées. Plus personne n'arrive à conquérir les territoires des autres et chacun défend efficacement le sien.
    Arès décide alors de tout arrêter pour faire le point.
    Il annonce qu'il donnera d'abord la liste des vingt meilleurs d'entre nous, et précisera ensuite les exclus du jour. Nous retenons notre souffle.
    Premier : Proudhon reçoit la couronne de lauriers pour son requin, prédateur absolu. Deuxième : Georges Méliès et sa murène à la vision surdéveloppée. Troisième : Béatrice Chaffanoux avec sa tortue marine à la carapace qu'aucun adversaire ne parvient même à rayer. En ne s'attachant qu'au seul concept de bouclier, elle a réussi un excellent prototype. Bruno Ballard et Freddy suivent, l'un avec son barracuda, l'autre avec son poisson-clown. Mata Hari arrive ensuite avec son calamar, et Marilyn avec ses méduses. La raie manta de Raoul se place juste après. Enfin je suis cité pour mes dauphins, mais Arès me reproche le manque de pugnacité de mes prototypes. Pour lui c'est un animal réussi dans sa forme mais raté dans son esprit. Il est plus joueur que belliqueux. À ce stade de l'évolution le jeu est un luxe qu'on ne peut encore se permettre, dit-il. Et j'ai beau arguer que le jeu est un entraînement à la guerre, il me dit qu'il faut d'abord penser à la survie et à la prédation.
    Au bas de l'échelle, Arès a regroupé des spécimens sans attaque ni défense efficaces. Des sortes de requins trop lents, des méduses aux poisons non foudroyants, des calamars trop mous, des pieuvres qui s'emmêlent les tentacules, des sardines qui communiquent mal ou des anguilles sans vivacité. Le verdict est sans appel. Les maladroits sont éliminés. Cela fait douze élèves en moins d'un coup. Nouveau décompte : 137 - 12... Nous ne sommes plus que 125.
    Parmi les douze, Montaigne est la seule célébrité. Il se tourne vers nous et, très beau joueur, nous souhaite bonne chance.
    Les centaures se présentent sur le seuil pour accomplir leur tâche, les condamnés sont emportés, et nous nous apprêtons à nous lever quand Arès nous arrête.
    - Attendez. Vous croyez quoi ? Ce cours est loin d'être fini. Il ne fait même que commencer. Après les poissons, vous vous attaquerez aux animaux terrestres. Une courte pause pour déjeuner et vous dégourdir les jambes, et on reprend.
   

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